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samedi 16 janvier 2010
Un peuple rassemblé à Notre-Dame de Paris
par Joséphine Bataille
Notre-Dame de Paris pleine à craquer. Trois quarts d’heure avant le début de la messe célébrée samedi par le cardinal André Vingt-Trois, en communion avec l’Eglise d’Haïti, ils sont déjà en place; graves et dignes. Tout un peuple qui se retrouve, pour prier. L’émotion est là, mais le calme est impressionnant. Les jeunes sont en groupes, et avancent en rangs serrés ; beaucoup ont un petit drapeau sur les épaules, ou un fanion à la main. Les couples, les frères et sœurs, les personnes âgées s’avancent silencieusement. Parmi eux, il y a aussi beaucoup de Parisiens sous le choc, venus manifester leur solidarité. Et beaucoup de religieux. « Cet acte de foi commun est un signe que nous, Français, sommes interrogés et appelés par ce qui vous arrive à revoir comment nous vivons et quelle est l’espérance qui nous anime; et comment nous sommes prêts à partager avec vous pour que l’avenir d’Haïti soit une réalité », a lancé le cardinal pendant la messe.
L’avenir, c’est bien de lui qu’il est question. L’avenir immédiat d’abord : la plupart ici, sont encore sans nouvelle d’une partie de leurs proches. L’avenir à moyen et long terme ensuite : secourir, puis reconstruire…L’archevêque, accompagné de l’aumônier de la communauté haïtienne de Paris, le père Saint-Fort, a voulu mettre le futur au diapason de l’espérance. « Notre foi a été mise à rude épreuve. Comment pouvons-nous accueillir Dieu dans sa puissance et sa miséricorde au moment où les éléments frappent de façon aveugle et jettent la mort dans votre peuple ? Voilà une question qui touche chacun de nos cœurs », a-t-il reconnu lors de son homélie. « Mais non, votre terre ne sera pas désertée ! Elle sera nommée d’une nom nouveau ; Dieu fait alliance avec les hommes de tous les pays. Ce peuple qu’il aime, il le soutiendra. Il faut que vous soyez convaincus qu’Haïti peut être reconstruite, que la vie des Haïtiens est un témoignage pour l’avenir et que votre foi peut vous permettre de surmonter cette épreuve et d’engager vos enfants non vers le malheur, mais vers l’espérance ! »
Récits, témoignages et traces d’espérance.
« Non, je ne m’ébranle pas. Je sais que quelque chose de nouveau va arriver ; dans le malheur, il y a toujours une lueur d’espoir. Et mon espoir est grand. Même si je ne vois pas, je sais que dans quinze, vingt ans, Haïti sera quelque chose. » Anita
«Nous sommes venus exprès de Cachan, dans le Val-de-Marne, pour allumer des bougies au Trocadéro et assister à la messe. Par compassion, parce qu’il s’agit d’humains, et que cela peut toucher tout le monde. Ce sont des gens qui ont tout perdu, qui n’avaient déjà rien ; nous qui avons vécu la Seconde guerre mondiale, cela nous ébranle fortement. » Simone et Guy
« Ma femme Myriam est haïtienne. Nous sommes rentrés la semaine dernière de Haïti, où nous avions passé toutes les fêtes, et célébré le mariage de l’une de mes belles sœurs. Nous avons ri, pris des photos avec des personnes aujourd’hui décédées ; tous ces lieux que je voyais pour la première fois, ce pays magnifique, je les vois aujourd’hui détruits, à la télévision. Nous avions failli prolonger notre séjour d’une semaine, mais sommes finalement rentrés avec le vol du mardi pour Paris ; ce même vol qui, mardi dernier, a été bloqué ! C’est mardi, très tard dans la nuit, que nous avons appris la nouvelle du séisme par ma belle sœur, qui vit aux Etats-Unis. Nous n’avons eu les premières nouvelles à sept heures du matin, et nous avons su que la famille de ma femme était saine et sauve ; ils ont eu le réflexe de sortir des bureaux, où ils travaillaient au moment où la terre a tremblé. Mais depuis nous sommes sans nouvelle. C’est très stressant de ne pas pouvoir les contacter. Nous sommes inquiets pour leur survie ; peuvent-ils s’alimenter ? Mon fils a un petit cousin de 18 mois comme lui ; ont-ils les moyens de s’occuper de lui ? Un couple d’amis est mort, alors qu’ils venaient d’obtenir un visa pour le Canada et qu’ils s’apprêtaient à quitter le pays. Aujourd’hui, ma femme a appris que plusieurs de ses amies de classe avaient été tuées. C’est tout un pan de sa vie qui s’écroule. Moi je ne suis pas croyant ; mais je suis venu à la messe pour l’accompagner dans sa prière. J’essaye de la soutenir mais c’est la première fois que je suis saisi de cette façon. On voit ça dans les films hollywoodiens ; c’est comme si pour une fois, la fiction rejoignait la réalité. Une mauvaise réalité. » Karim, du Val d’Oise.
« Mon beau-père est haïtien, et toute sa famille est là-bas. Nous avons perdu deux personnes, et pour les autres, nous sommes dans le doute. C’est l’arrivée des secours que nous attendons désespérément. Mes cousins ont été faire du déblayage avec leurs copains, mais ils ne peuvent pas tout faire eux-mêmes. J’avoue que je suis tellement sous le choc que je ne pourrais même pas dire que je suis affecté. Je suis encore en train de me demander ce qui se passe. Alors cette messe, c’est un temps de prière partagé entre nous ; et c’est un signe, pour montrer à ceux qui sont là-bas qu’on est avec eux. » Sébastien, Paris, 19 ans.
« Je suis enseignante dans une école maternelle où travaille un haïtien, alors nous avons été touchés par ce drame, et nous nous sommes passé le mot entre collègues pour venir aujourd’hui à la messe. A l’école, nous avons aussi monté un projet de solidarité. C’est maintenant où jamais qu’il faut faire quelque chose. » Chantal.
« J’ai voulu venir à Notre-Dame pour manifester ma solidarité aux gens qui sont dans la peine. Aujourd’hui, nous ne pouvons que porter Haïti dans notre cœur. On a tout le temps pour prier pour autre chose… Moi je suis guadeloupéenne, mais un malheur comme ça, ça peut nous arriver à tous. Je suis touchée de voir que ces gens sont dans un dénuement total et ont besoin de tout ; j’ai aussi des amis haitiens qui sont bouleversés, car ils n’ont pas de nouvelles de leurs proches; ce n’est pas à nous de paniquer : il nous faut transmettre de l’énergie aux gens qui en ont besoin. Restons sereins et attentifs aux gens que nous connaissons » Gina, de Seine-St-Denis.
« Je suis venue par conviction. Parce qu’on a besoin de prier ensemble. Je suis fortement sensibilisée à la situation d’Haïti, depuis déjà de nombreuses années, car c’est un peuple qui s’est toujours battu. C’est la première république noire, c’est un peuple de courage et de dignité, un peuple exemplaire. Même dans la souffrance. Je l’aime pour son histoire, pour sa musique… Je ne me sens pas proche d’eux : je suis avec eux.. » Dominique, principale adjointe de collège, en Seine-St-Denis
« J’ai eu des nouvelles de mes parents et de mes frères et sœurs qui sont en vie, alors je suis venue rendre grâce. Au-delà, c’est un moment de communion, une façon d’être ensemble et de porter ceux qui ont disparu, on ne sait dans quelles souffrances. Ceux qui survivent vont aussi souffrir. Ils vont vivre et subir les suites de ce choc, de la perte des leurs, même si au téléphone ils minimisent et essayent de nous rassurer… » Elisabeth « J’ai été conseiller du président de la République René Préval pendant deux ans. Je vois le palais national, qui paraît si solide, et à l’étage duquel j’avais mon bureau, effondré. Je vois la cathédrale, et tous ces lieux que je connais si bien, dévastés. Je devais retourner là-bas début mars, pour l’inauguration de l’université, où j’ai enseigné aussi. Je suis sans nouvelles de mes amis haïtiens. Tout cela est sidérant. Je souffre beaucoup pour les haïtiens, que j’aime tant. Je suis ici en communion avec eux. Si cela permet de reconstruire le pays, et de façon à ce qu’il soit mieux protégé contre les séismes, alors ce serait bien. » Olivier.
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