Banderole saluant "Titide", l'ex-président Aristide, le 17 mars 2011 à Port-au-Prince |
PORT-AU-PRINCE — "Mèsi Jezu": pour décorer son tap-tap --un taxi collectif--, Compère Mario Junior n'a pas fait dans l'original. A Cité Soleil, le plus grand bidonville d'Haïti, on croit en Dieu. Mais aussi en l'ex-président exilé Aristide, qui rentre au pays.
Compère, la trentaine, une fine moustache et des mitaines trouées, attend avec impatience l'arrivée de "Titid", chassé du pouvoir en 2004, arrivée annoncée pour vendredi matin après sept ans d'exil en Afrique du Sud.
"Quand il était président, on avait du travail. Et quand il sera rentré, il va s'occuper de nous", dit celui qui n'a pas trop à se plaindre. Il gagne 1.500 gourdes, environ 35 dollars, par jour. Une fortune au regard de la misère dans laquelle trempe Cité Soleil, où la brise soulève un nuage de poussière aveuglant.
Le bidonville, où s'entassent peut-être 200.000 personnes, est un des bastions de Jean-Bertrand Aristide. Cet ancien prêtre est autant adepte de la "théologie de la libération" que des discours aux accents populistes et reste ultra-populaire auprès des Haïtiens les plus humbles.
Aucun risque donc que la banderole souhaitant un "bon retou au prezidan Aristide" à l'entrée de Cité Soleil soit victime d'un quelconque acte de vandalisme.
La banderole, d'un blanc maculé, contraste bizarrement avec les gravats du tremblement de terre du 12 janvier 2010, déblayés à la hâte. Sur le bas côté du "boulevard des Américains", un mastodonte qui coupe Cité Soleil en deux, on vend pêle-mêle riz, casseroles et chambres à air de vélo.
Benisoit Pierre n'a rien à vendre, tout à déplorer. Pas de travail, des dents en moins. Mais "Dieu veille", dit-il, en pointant le ciel d'un bleu azur du doigt.
Pour manger, "on se débrouille, et Dieu m'aide", assure-t-il. Enfin, dans l'idéal, il verrait bien Aristide --"un bon garçon"-- aider à relever le pays le plus pauvre des Amériques, où selon des estimations de l'agence américaine du développement USAID, 70% à 80% de la population est au chômage, sans tenir compte du secteur informel.
Le deuxième tour de la présidentielle de dimanche, où Michel Martelly affronte Mirlande Manigat, Benisoit n'y croit pas trop.
Mais, dans le doute, il compte faire comme tout le monde à Cité Soleil, en général, et comme son ami Casimir Wilken en particulier: voter pour "Tèt kale" ("crâne chauve", en créole"), le surnom de Michel Martelly, un chanteur populaire qui se verrait bien revêtir les habits de président.
"La situation (en Haïti) n'a jamais été aussi difficile. Il n'y a pas de travail, la violence est partout. C'est à cause des politiciens qui nous gouvernent. Comme Martelly n'est pas politicien, on va essayer avec lui", explique Casimir, qui vend eau et sodas sur le pas de sa porte.
Margaret François en pince elle aussi, dans l'ordre, pour Jésus, Aristide, et "Tèt kale".
Mais chez elle, il n'y a ni crucifix, ni l'une de ces affiches de campagne roses qui tapissent les murs de Port-au-Prince et sur lesquelles un Michel Martelly tout sourire appelle Haïti à voter pour lui. D'ailleurs, chez Margaret il n'y a rien. Sur la terre battue qui fait office de sol, des poules picorent d'improbables grains de maïs. Guirlanda, sa fille de trois ans, virevolte nue dans l'unique pièce et réclame à manger.
"Vous voyez notre misère?", s'exclame Margaret. "Avec Aristide au moins on avait à manger".
Guillaume DECAMME (AFP) –
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