Dès 2003, le grand groupe privé japonais tablait sur une «réduction des coûts de maintenance» pour «sécuriser» ses profits.
Le profit à tout prix. Telle pourrait être la devise de Tokyo Electric Power (Tepco), la multinationale qui exploite les centrales nucléaires de Fukushima. Le plus grand producteur privé d’électricité au monde illustre les dérives d’un secteur où la libéralisation a déployé jusqu’aux dernières extrémités ses logiques destructrices. Démonstration. Début 2010, Tepco affichait un bénéfice net de 157,7 milliards de yens (1,19 milliard d’euros) pour la période d’avril à décembre 2009, contre une perte de 137,7 milliards de yens (1,04 milliard d’euros) un an plus tôt. Miraculeux redressement, pour une multinationale dont le chiffre d’affaires reculait pourtant, dans le même temps, de 14 %. Pour renouer avec les bénéfices, assuraient alors ses dirigeants, Tepco avait su compresser ses « dépenses courantes », en recul de 22,7 %. Officiellement, grâce à la baisse des cours du pétrole indispensable au fonctionnement des centrales thermiques du groupe. L’explication est un peu courte, pour une entreprise qui insistait, dans un document financier d’août 2003, sur la nécessité d’une « rationalisation de l’ensemble des opérations, y compris la réduction des coûts de maintenance », pour « sécuriser » ses profits.
Faire de la maintenance, donc de la sécurité des équipements, une variable d’ajustement ? Tepco ne s’en est pas privé par le passé. Entre septembre 2002 et avril 2003, la multinationale fut contrainte de mettre à l’arrêt ses 17 réacteurs nucléaires. Conséquence de révélations sur la falsification d’une trentaine de rapports d’inspection des trois centrales nucléaires du groupe. Il s’agissait, entre autres, pour le géant électronucléaire, de dissimuler trois incidents survenus dans les centrales de Fukushima et de Kashiwazaki-Kariwa. Ce scandale impliquant Tepco n’est pas isolé. En mars 2007, pour ne citer que cet exemple, la société Hokuriku Electric Power admettait avoir sciemment caché un incident nucléaire intervenu dans sa centrale de Shikamachi, huit ans plus tôt, le 18 juin 1999. Mais qu’importe la sécurité, quand la course au profit prime sur tout ? Avec 28 millions de clients à Tokyo et dans sa région, Tepco annonçait triomphalement, le 30 juillet dernier, vouloir multiplier par cinq ses prévisions de bénéfice net pour 2010-2011. Entre avril et décembre 2010, la multinationale enregistrait un bénéfice net de 139,8 milliards de yens (1,27 milliard d’euros). Surfant sur la vague verte, le groupe, déjà à la tête d’un parc éolien, envisageait d’investir encore dans les énergies renouvelables. Si prompte à menacer les États, l’agence de notation Standard and Poors avait gratifié la dette à long terme de Tepco
d’un AA-, sa quatrième meilleure note.
Même au cœur de l’actuelle catastrophe de Fukushima, Tepco est resté obnubilé par des considérations financières. « Il semblerait que la compagnie ait attendu la dernière limite pour noyer le cœur du réacteur en pompant l’eau de mer. En effet, si l’on noie le cœur d’une centrale celle-ci devient inutilisable », relève la CGT énergie. Bien sûr, la propriété publique n’est pas, en soi, une assurance tous risques dans ce domaine. Mais jusqu’à quelles effroyables dérives peut conduire la hantise du profit… En 2005, dans son essai De Tchernobyl en tchernobyls, le prix Nobel de physique Georges Charpak mettait déjà en garde : « Le problème de la sécurité des centrales est trop crucial pour être laissé aux mains des seuls financiers, ces champions des optimisations boursières. » Cruellement prémonitoire.
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