samedi 16 janvier 2010

L'aide afflue à Haïti, exode de rescapés vers les campagnes


Par Andrew Cawthorne et Catherine Bremer

PORT-AU-PRINCE (Reuters) - Quatre jours après le séisme qui a ravagé la région de Port-au-Prince, des milliers d'habitants craignant la famine et les émeutes ont commencé samedi à fuir la capitale haïtienne pour gagner les campagnes.


Des violents affrontements ont opposé en milieu de journée dans une rue commerçante du centre ville un millier de personnes qui se disputaient des marchandises pillées dans les magasins et les maisons, a rapporté un photographe de Reuters.

Alors que l'aide continue d'arriver à Haïti, où le tremblement de terre de magnitude 7 de mardi, l'un des plus destructeurs de l'histoire, pourrait avoir fait jusqu'à 200.000 morts, le président américain Barack Obama, flanqué de ses prédécesseurs Bill Clinton et George W. Bush, a annoncé le lancement d'une vaste campagne pour venir en aide aux sinistrés.

Les secours affluent sur place mais la distribution de l'aide est toujours aussi difficile.

"Cela fait des jours que j'attends et rien n'arrive, pas même une bouteille d'eau", déclare Yves Manes, un habitant de la capitale qui fuit la ville avec sa femme et ses deux enfants.

Des milliers de rescapés suivent à pied le chemin de l'exode, qui un sac sur la tête, qui une valise à la main. D'autres, plus chanceux, s'entassent dans des voitures ou des camionnettes. Tous espèrent trouver refuge chez des parents ou des amis à la campagne, moins touchée par la catastrophe.

Des bandes de pillards ont commencé à s'attaquer aux rescapés qui survivent dans les camps de fortune établis dans les rues de la capitale dévastée, dans l'odeur des milliers de cadavres en décomposition.

La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton était attendue sur place et devait rencontrer à l'aéroport le président haïtien René Préval. Son avion apportait des secours et devait regagner les Etats-Unis avec des ressortissants américains qui ont échappé à la mort.

L'aéroport de Port-au-Prince, à la capacité limitée et qui est de plus très endommagé, est toujours engorgé et les autorités haïtiennes ont demandé aux Américains d'en prendre le contrôle afin de faciliter l'acheminement de l'aide venue du monde entier.

Cette décision a provoqué un mini-incident diplomatique avec la France. Le secrétaire d'Etat français à la Coopération, Alain Joyandet, présent sur place, a déclaré aux médias avoir élevé une protestation auprès des autorités américaines après qu'un vol humanitaire français apportant un hôpital de campagne a été dérouté.

DÉJÀ 50.000 CADAVRES RETROUVÉS

Des répliques sont toujours ressenties dans la capitale, faisant s'effondrer quelques pans de murs et ajoutant à l'angoisse des survivants.

Des camions remplis de cadavres se dirigent vers les fosses communes qui ont été creusées à la hâte en dehors de la ville mais des milliers de corps restent bloqués sous les décombres.

Les sauveteurs poursuivent leurs efforts pour retrouver des survivants. Ils étaient sur le point d'abandonner les recherches dans les ruines d'un supermarché qui s'est effondré sur une centaine de personnes lorsqu'ils ont été avertis qu'une caissière, bloquée sous les décombres, avait pu avec son téléphone portable signaler à un proche à Miami qu'elle était en vie.

"Nous avons déjà ramassé environ 50.000 cadavres", a dit le ministre haïtien de l'Intérieur, Paul Antoine Bien-Aimé. "Nous prévoyons qu'il y aura entre 100.000 et 200.000 morts au total, mais nous ne saurons jamais le chiffre exact."

De nombreux policiers patrouillaient samedi dans les rues du centre-ville, pour l'opération de maintien de l'ordre la plus importante depuis le séisme.

Un photographe de Reuters a vu les forces de l'ordre tirer en l'air et interpeller sans ménagement plusieurs suspects. Mais il n'y avait aucun signe de pillage généralisé, ni d'émeutes, comme beaucoup le craignaient.

Illustrant le côté décousu des opérations de secours, un hélicoptère américain s'est posé sur un terrain vague près du port, son équipage a lancé à terre des cartons contenant des bouteilles d'eau et l'appareil est aussitôt reparti. Une foule s'est alors précipitée sur les bouteilles d'eau.

Plus loin, des échauffourées se sont produites autour des camions de l'Onu qui distribuaient des vivres.

Si le nombre de victimes redouté se confirme, il s'agira de l'un des dix tremblements de terre les plus meurtriers de l'histoire.

Alain Le Roy, secrétaire général adjoint de l'Onu, a prévenu que la famine pourrait déclencher des violences si l'aide ne parvenait pas rapidement à ses destinataires, tout en soulignant que, pour le moment, la situation restait "maîtrisée".

LES HÔPITAUX DÉBORDÉS

La Mission des Nations unies en Haïti a elle-même perdu 36 de ses 9.000 membres lors de l'écroulement de son quartier général, et ses deux plus hauts responsables sont toujours portés manquants.

Déjà fragile, le gouvernement haïtien lui-même a été affaibli par l'interruption des communications et la coupure du courant. Le président Préval et le Premier ministre Jean-Max Bellerive travaillent à partir du siège de la police.

Préval a confié à Reuters ne même pas disposer d'un téléphone qui marche. "Les hôpitaux sont pleins et débordés", a-t-il ajouté en précisant qu'une de ses priorités était de s'assurer que les camions qui recueillent les cadavres disposent de carburant.

Au moins huit hôpitaux de Port-au-Prince et plusieurs dispensaires ont été détruits ou trop endommagés pour pouvoir fonctionner normalement.

Les Etats-Unis se sont engagés à débloquer une aide d'urgence initiale de 100 millions de dollars, après cette catastrophe dont le président Barack Obama a déclaré qu'elle lui "brisait le coeur".

Washington a envoyé sur place le porte-avions nucléaire USS Carl Vinson avec ses 19 hélicoptères, qui est arrivé vendredi au large des côtes haïtiennes. Le navire-hôpital USS Comfort, qui peut accueillir un millier de blessés, a appareillé samedi de Baltimore, dans le Maryland. D'ici lundi, l'armée américaine compte déployer au total 9.000 à 10.000 hommes sur place.

En France, la mobilisation en faveur des victimes se poursuit et plusieurs cérémonies ont été organisées. Un office religieux a été célébré dans la soirée à Notre-Dame de Paris.

Avec Tom Brown, Joseph Guyler Delva et Eduardo Munoz à Port-au-Prince, Patrick Worsnip à l'Onu, Phil Stewart, Andrew Quinn and John Crawley à Washington, Thierry Lévêque à Paris, version française Guy Kerivel

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