EXCLUSIF. Les fichiers de fraudeurs, qu'Eric Woerth brandissait en 2009, ont été trafiqués selon la police suisse. Une nouvelle très gênante pour l'administration française
Douche froide pour l’administration française. Mercredi 2 mai, dans trois rapports que "Le Nouvel Observateur" a pu consulter, dont un en date du 5 août 2010, la police judiciaire fédérale de la Confédération suisse (PJF) n’y va pas par quatre chemins. La PJF dénonce les pratiques des enquêteurs de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN), mais également des membres de la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) dans l’affaire des fichiers de la banque HSBC.
Ces fameux fichiers que le ministre du Budget de l’époque, Eric Woerth, brandissait en souriant à l’été 2009 en assurant être ainsi parvenu à identifier 3.000 fraudeurs pour le fisc français. Auxquels il donnait jusqu’au 31 décembre de cette année-là pour sortir du bois et ainsi éviter les sanctions financières prévues dans le cadre de fraudes au fisc.
"Une manipulation volontaire"
Mais voilà, selon les enquêteurs suisses, ces fameux fichiers – que la France a d’abord refusé de restituer à la Suisse avant de finalement les céder - ont visiblement été trafiqués.
"Nous avons constaté des différences concernant le contenu de divers fichiers transmis par l’IRCGN bien que ces derniers auraient dû être en tous points semblables (...) le fait que le nom des fichiers ou leurs extensions diffèrent entre le rapport de l’IRCGN et ses annexes pourrait s’expliquer par des inattentions imputables aux enquêteurs de l’IRCGN", écrivent d’abord – et de façon très diplomatique - les Suisses. Avant d’enfoncer le clou de manière brutale : "Par contre, le fait que le contenu [de ces fichiers] ait été modifié est une manipulation volontaire dont le mobile nous échappe."
Autre fait troublant : les enquêteurs suisses soulignent que "selon les propriétés des fichiers extraits (...), nous constatons que la dernière date de modification desdits fichiers est ultérieure à la date de la perquisition chez Hervé Falciani, soit le 20 janvier 2009". Ce qui signifie, donc, que ces fichiers ont été "manipulés", alors même qu’une instruction judiciaire était en cours... et est totalement illégal.
Des fichiers nettoyés
Très concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement qu’entre le moment où la France a récupéré ces fichiers auprès d’un ancien salarié de la HSBC – Hervé Falciani – et leur restitution à la Suisse quelques mois plus tard, ils ont été modifiés. C’est-à-dire nettoyés de noms que l’administration française ne souhaitait pas y voir figurer. Ce que justice et police suisses écrivent aujourd’hui noir sur blanc dans ces rapports jusque-là jamais révélés, le procureur Eric de Montgolfier le laissait entendre en février dernier dans un entretien accordé à "Mediapart". Il déclarait alors : "De notre côté, nous avions plus de 8.000 noms, pour ce qui concerne les ressortissants français et au moins dix fois plus d’étrangers. Pourquoi sortir ce 3.000 ? Cela ne nous arrangeait pas... Etait-ce juste une façon de noyer le poisson ?"
Des fichiers qui "pourraient remplir un train"
De quel poisson veut parler Eric de Montgolfier ? Quelles sont les personnes que l’administration française souhaite ainsi protéger en les sortant de ces fichiers ? Rappelons qu’à l’époque, et toujours selon le procureur alors en fonction à Nice, figurait dans ces fichiers un certain Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, à l’heure actuelle toujours en détention provisoire dans le cadre de l’affaire d’abus de faiblesse de l’héritière de l’Oréal...
"Ce compte était parfaitement immobile et ne fonctionnait plus, précise Eric de Montgolfier, mais ce compte intéressait un certain nombre de personnes dans les cercles de pouvoir." Et le procureur d’ajouter, de façon énigmatique : "Il y avait manifestement des noms qui servaient à en cacher d’autres dans les données HSBC. Hervé Falciani, lui-même, nous a dit que ces données pourraient remplir un train si on les imprimait en totalité."
Denis Boulard - Le Nouvel Observateur
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