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samedi 24 juillet 2010
En Haïti, quand le remède peut tuer le médecin
Retour d'un monde de traumatisme et de destruction. En Haïti, plus de six mois après le séisme, le chaos règne toujours. En quarante ans d'humanitaire, je n'ai jamais connu une telle situation, et j'ai pourtant approché des guerres et des catastrophes à travers le monde. Mais en Haïti tout est plus violent, plus dur, plus épouvantable. Je me suis trouvé face à un peuple traumatisé, blessé dans les corps et dans les âme...
Au lendemain de ce séisme, La Chaîne de l'Espoir a pu déployer son aide médicale au sein de la clinique Lambert, dirigée par le Docteur Margaret Degand, à Pétionville, près de Port-au-Prince. Dans cet ancien établissement de chirurgie esthétique, plus de 2000 blessés ont été pris en charge, et la clinique est devenue un centre de référence pour tous les sauveteurs. Dans cette clinique, j'ai retrouvé le cardiologue haïtien Michel Théard, mon ancien élève à l'hôpital Broussais, à Paris. Avec lui, je me suis trouvé plongé dans le milieu médical haïtien. Et là, j'ai constaté qu'un drame se jouait dans le drame…
Les ONG détruisent le tissu économique du pays. Comment le petit paysan pourrait-il vendre ces quelques bananes, si les organisations humanitaires distribuent des vivres gratuitement ? De la même manière, la médecine gratuite est en train de détruire le système de santé en Haïti. Qu'on ne se méprenne pas : la prodigieuse solidarité internationale qui s'est manifestée lors du tremblement de terre a constitué une aide essentielle pour ce pays supplicié, notamment celle des organisations médicales humanitaires.
Toutefois, sur place, six mois après, la situation des hôpitaux, des médecins, des personnels soignants est tout simplement effrayante : il n'y a plus de moyens et les patients ne sont plus prêts à recourir à des soins qui ne soient pas gratuits… Des hôpitaux sont obligés de fermer. Un autre a réduit de moitié ses effectifs de médecins, personnels soignants et administratifs. Un chirurgien viscéral m'a expliqué qu'en un mois il n'a procédé qu'à une seule opération. Les cabinets médicaux, les cliniques, les hôpitaux sont en situation de grand dysfonctionnement. Et, lorsque les établissements réussissent vaille que vaille à se maintenir, ils ne trouvent plus d'infirmières ni de jeunes médecins pour y exercer car les ONG les recrutent, avec des salaires beaucoup plus élevés.
UNE AUTRE FORME D'URGENCE
Michel Théard me précisait même que le remède est en train de tuer le médecin ! Comment ne pas comprendre le découragement quand il suffit à des médecins haïtiens d'aller sur Internet pour constater qu'après le tremblement de terre, une ONG a reçu, à elle seule, l'équivalent en dons de trois fois le budget annuel du ministère haïtien de la santé. Comment ne pas comprendre que l'on observe sur les murs de Port-au-Prince un bien vieux slogan qui rejaillit, actualisé : "ONG go home !".
En Haïti comme ailleurs, les ONG n'ont pas vocation à s'installer définitivement. Il serait dramatique de prendre le risque de voir le système médical haïtien détruit lorsqu'elles se retireront. Or, elles se retireront et, si le pays a vécu sous perfusion, il ne survivra pas à l'arrêt de la machine. Pour sortir de ce piège, les pouvoirs publics haïtiens, avec une immense faiblesse de moyens, travaillent à un programme d'aide aux structures médicales pour tenter de les sauver, elles et les personnels médicaux locaux.
Des tentatives de coopération entre les institutions privées et publiques tentent de se mettre en place et des initiatives originales sont tentées. Mais rien ne sera possible si la solidarité internationale, encore si forte, ne déplace pas ses modes d'intervention et d'assistance pour se mobiliser autour de l'aide aux structures locales, à la formation… Bref, pour préserver, développer et moderniser ce qu'il reste d'un système médical local. C'est une autre forme d'urgence. C'est peut-être aujourd'hui la première.
Alain Deloche, chirurgien, président de la Chaîne de l'Espoir
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