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samedi 24 juillet 2010
Haïti rattrapé par ses démons
Au départ, l’idée paraissait simple: envoyer des maisons prêtes-à-monter par bateau, jusqu’en Haïti, où des centaines de milliers de gens s’entassaient dans des camps insalubres après le tremblement de terre du 12 janvier.
Dès les semaines qui ont suivi la catastrophe, le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) a donc entrepris d’étudier des modèles de «maisons en kit». Mais encore fallait-il trouver des terrains où les installer. Gros problème: même avant le séisme, les registres fonciers haïtiens étaient chaotiques. Ça ne s’est pas arrangé depuis.
«Nous ne pouvions pas transporter des maisons sans savoir où les mettre. Et nous ne pouvions pas commencer à les monter sur des débris ou des terrains incertains», explique Carine Guidicelli, directrice des communications du CECI.
Et puis, il n’y avait pas que le chaos foncier. Étonnamment fluides dans les semaines suivant le séisme, les douanes haïtiennes ont repris, depuis, leur rythme habituel. Lent. Très lent.
Confronté à la perspective de transporter des maisons sans destination connue pour les laisser moisir au port de la capitale, le CECI a abandonné son projet. Pour s’attaquer plutôt à la construction d’une centaine de maisons à Léogâne, cette ville qui a été pratiquement rasée le 12 janvier.
Contrairement aux cabanes prêtes-à-monter, les nouvelles habitations, bâties avec des gravats recyclés, seront de «vraies» maisons, destinées à durer. On prend le temps de démêler les titres de propriété avec les autorités locales et les voisins. Le processus est laborieux. Et on est encore loin, très loin, d’avoir posé la première pierre de la première maison…
On estime que le tremblement de terre du 12 janvier a enseveli Haïti sous 20 millions de mètres cubes de débris. Six mois plus tard, à peine 250 000 mètres cubes ont été retirés. C’est à peine plus d’un pour cent!
Pourquoi si peu? Pourquoi pas plus vite? L’histoire des maisons prêtes-à-monter donne quelques éléments de réponse. Car elle est loin d’être unique. La Société canadienne de la Croix-Rouge voulait elle aussi construire des maisons sur des fondations de béton à Léogâne. Et elle a trébuché elle aussi sur les titres fonciers incertains. Pour se rabattre sur des cabanes démontables qu’elle compte fixer au sol avec des sangles. Un projet critiqué par les Architectes de l’urgence, qui craignent que ces maisons temporaires ne se transforment en de futurs bidonvilles.
Mais pour Jean-Pierre Taschereau, responsable des opérations d’urgence à la Croix-Rouge canadienne, il n’y avait pas vraiment le choix: «Au moins, si le propriétaire réclame son terrain, les maisons pourront être déménagées.»
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Cette confusion foncière pose aussi problème pour ces millions de tonnes de gravats qu’il faudra bien placer quelque part. Mais sur quel terrain? Appartenant à qui?
En d’autres mots, si les choses piétinent, c’est en partie à cause de ce qu’était Haïti avant le 12 janvier. «Nous nous faisons rattraper par le contexte du pays. Ce qui n’allait pas bien avant ne va pas mieux aujourd’hui.», résume Jean-Pierre Taschereau.
C’est ce qui se produit aux douanes, par exemple, où «le système a repris le dessus». Un exemple: les Architectes de l’urgence ont acheminé 280 abris au port de Port-au-Prince. Ils poireautent là depuis un mois en attendant d’être dédouanés.
«Haïti est à une croisée des chemins critique», constate le rapport d’un comité du Sénat américain, qui dénonce lui aussi le fouillis foncier et le blocage douanier.
Mais derrière ces deux problèmes se dessine une tendance plus large: la faiblesse du gouvernement haïtien, incapable ne serait-ce que d’accélérer les procédures douanières.
Plusieurs craignent que les élections annoncées pour novembre ne fassent qu’exacerber cette impuissance, en politisant à outrance la moindre décision du gouvernement. Imaginons que celui-ci ait besoin d’exproprier un terrain pour y accueillir un projet de construction. Osera-t-il le faire, au risque de perdre des appuis politiques?
«Le gouvernement est trop faible, et il n’y a que les élections qui l’intéressent!» dénonce Michèle Striffler, députée européenne qui rentre d’Haïti et doit présenter un rapport sur sa mission à la mi-juillet.
Et ajoutez à cela la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, coprésidée par Bill Clinton, censée choisir les projets financés à même les 10 milliards promis en mars par les donateurs internationaux – et qui n’a encore tenu qu’une seule réunion.
Mais en même temps, peut-être était-il irréaliste d’imaginer que les choses puissent aller plus vite? «Quand le World Trade Center s’est effondré, il en a fallu, du temps, pour tout dégager. Eh bien, ici, c’est plein de World Trade Center», souligne Marie-Ève Bertrand, de Care Canada, qui travaille sur des projets d’abris à Léogâne.
D’autres font valoir que les lenteurs ne sont pas toutes haïtiennes. Les Architectes de l’urgence veulent réparer des centaines de maisons à Léogâne et Port-au-Prince. Depuis trois mois, ils attendent des fonds de l’Union européenne et de l’ONU. «On n’a toujours pas vu le premier centime», dénonce leur président, Patrick Coulombel.
Peu importe les raisons, son constat est implacable: «Six mois après le tremblement de terre, la reconstruction n’a même pas commencé. C’est absolument anormal.»
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