samedi 30 avril 2011

Football: les quotas discriminatoires alarment un sociologue




PARIS (Reuters) - L'intention supposée de la Fédération française de football (FFF) d'instaurer des quotas discriminatoires dans les centres de formation est un nouveau pas franchi dans le racisme ordinaire sur un terrain socio-politique fertile, estime le sociologue Philippe Bataille.
"Si c'est avéré, c'est quelque chose de catastrophique. Une catastrophe sans nom", a expliqué le directeur du Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis) dans un entretien accordé vendredi à Reuters.
"Pour moi, il s'agit d'un effondrement, d'un éboulement, sans aucun doute de la barrière morale de l'après-Holocauste."
Les allégations ont un effet d'autant plus ravageur en ce qu'elles touchent, selon Philippe Bataille, une "entreprise nationale avec une dimension symbolique décuplée".
"Il n'y a qu'à voir l'été dernier comme la France a été déprimée, sous Prozac (pendant le fiasco de la Coupe du monde)."
Qu'elles soient avérées ou non, ces allégations méritaient une réaction plus rapide des dirigeants politiques, selon le sociologue. "Le temps de réaction est un peu inquiétant", juge Philippe Bataille.
L'Elysée a fait savoir vendredi que le président Nicolas Sarkozy ne réagirait pas aux allégations avancées par le site internet d'informations Mediapart.
LA HALDE FERME
Des membres du gouvernement, vendredi seule Chantal Jouanno, la ministre des Sports, avait réagi à l'affaire, demandant à la FFF de faire la lumière sur les révélations du site internet.
Philippe Bataille, toutefois, n'est pas surpris car, fait-il valoir, le climat socio-politique des dernières années en France a rendu poreuse la digue qui séparait "l'impensable" du "pensé".
"On est dans un contexte favorable pour qu'à un moment, on n'ait plus conscience de ce pas franchi", analyse-t-il.
"Le FN mais aussi la majorité politique créent un climat, un terreau. On est dans la réalisation d'une tendance, d'une banalisation sur toute la vie sociale."
Hasard du calendrier, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) a remis vendredi son dernier rapport avant de fermer ses portes le 1er mai.
"Comment voulez-vous dénoncer la discrimination à l'embauche dans un pays où le gouvernement a aussi cassé la Halde ?", s'interroge Philippe Bataille.
L'infiltration des idées d'extrême droite n'a plus grand-chose de surprenant, juge-t-il. "Il y a un délaissement, un abandon, une négligence, même si tout indique qu'il faut être attentif".
POINT DE NON-RETOUR
Pour le sociologue, le racisme ordinaire fait le lit du Front national.
"On sait très bien que l'équipe de France a été attaquée par Jean-Marie Le Pen et voilà que la remarque aurait été validée par les instances elles-mêmes", dit-il.
"C'est la digue qui saute."
L'effet des accusations de Mediapart, que Philippe Bataille invite à dévoiler ses preuves, pourrait mettre à mal des années de lutte contre les discriminations, dit le sociologue.
"C'est vingt ans de travail collectif de toutes les institutions, de la recherche, des syndicats, des lois et des textes", rappelle-t-il. "Tout ça ne sert à rien ?"
Visée par les propos de Philippe Bataille, la discrimination à l'embauche.
"Comme si Renault se mettait à dire que comme les femmes savent mieux peindre que les hommes (...) on va les mettre à l'atelier peinture et les hommes ailleurs", dit-il.
Seule manière, pour le sociologue, de lutter contre la discrimination: l'interdiction et la sanction car "le rappel de la barrière morale ne suffit plus".
Même une interdiction pourrait se révéler insuffisante, redoute-t-il, car "une interdiction morale dure le temps que les gens y croient."

Julien Pretot

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