Les responsables de la communauté immigrée de Guinée, essentiellement composée de Peuls, connaissent bien la femme de chambre du Sofitel. Et ils sont particulièrement touchés par les accusations de viol.
Pas de minaret ni de coupole. Le Fouta Islamic Center n'est qu'un petit immeuble de brique rouge dont le rez-de-chaussée est défendu par deux rideaux de fer. Une petite porte vitrée ouvre sur un escalier qui conduit à l'étage. Ce n'est qu'à la vue du mur recouvert de casiers à chaussures que l'on comprend qu'il s'agit d'une mosquée. Le vendredi, 500 à 600 Guinéens se pressent dans la vaste salle de prière. Installé dans un bureau contigu, l'imam Abdourahmane Bah tient conseil avec d'autres membres de l'Union pour le développement du Fouta-Djalon, l'association qui a fondé la mosquée. Un seul sujet à l'ordre du jour: l'affaire du Sofitel.
«Bien sûr que nous connaissons Nafissatou Diallo, dit le religieux. Elle fréquente cette mosquée.» La femme de chambre, victime présumée de Dominique Strauss-Kahn, n'habite qu'à un quart d'heure de marche. Le cœur de la communauté guinéenne du Bronx bat ici, au coin de la 3e Avenue et de la 166e Rue. A côté de la mosquée se trouve un centre d'assistance pour les démarches administratives et les transferts d'argent vers le pays natal, puis un restaurant où l'on sert les plats traditionnels et, enfin, une épicerie où, en plus des aliments de base, on peut acheter des baguettes dorées et des croissants bien ventrus.
Le viol, un sujet particulièrement douloureux
Au Fouta Islamic Center, c'est la colère qui domine. «Un viol, chez nous, c'est le déshonneur, dit Souleyman Diallo, président de l'association. Nafissatou a été souillée. C'est pour cela qu'elle se cache et qu'on ne voit aucune photo d'elle. Qu'on ait dévoilé son nom est déjà très grave.» Dans la communauté guinéenne de New York -qui compte plus de 3000 personnes, dont 80% de Peuls qui jouissent de l'asile politique-, le viol est un sujet particulièrement douloureux. Car le régime de Conakry, quand il a envoyé ses milices contre les populations peules, a incité ses soudards à violer systématiquement les femmes. Qu'une des leurs ait subi le même sort dans un palace de Manhattan plonge les Guinéens dans leurs souvenirs les plus sombres.
«M.» Diallo (il a demandé qu'on ne dévoile pas son prénom) connaît Nafissatou depuis son enfance. Elle a 32 ans, trois ans de plus que lui et ils ont grandi dans le même village, Sagalé, dans le Fouta-Djalon. «En Guinée, dit-il, les gens de Sagalé ont la réputation d'être très pieux, le village est cité en exemple.» «M.» raconte que Nafissatou, fille d'agriculteurs, est arrivée aux Etats-Unis il y a sept ans à l'instigation de sa sœur aînée, qui vit à New York depuis quatorze ans, avant d'obtenir un statut de réfugiée politique. Elle s'est installée chez elle avec sa fille âgée de 15 ans aujourd'hui, qu'elle élève seule depuis la mort de son mari en Guinée. Grande, discrète, portant toujours un foulard pour couvrir ses cheveux, le visage un peu grêlé par des cicatrices d'acné, la jeune femme a d'abord travaillé dans un restaurant du Bronx, tenu par des Gambiens. Il y a trois ans, grâce à un contact dans la communauté guinéenne, elle a décroché une place de femme de chambre au Sofitel de Manhattan.«C'est un job enviable, souligne «M.». Ici, tout le monde aimerait travailler dans un grand hôtel comme celui-là. Elle sait à peine lire et écrire!» Tous la décrivent comme une jeune femme sérieuse, assidue au travail et préoccupée par l'éducation de sa fille, scolarisée dans un lycée du Bronx. Les habitués des clubs de musique africaine du Bronx ne l'ont jamais aperçue dans ces lieux de nuit. «Elle vient régulièrement prier au rez-de-chaussée de la mosquée, dans la salle réservée aux femmes», confie Souleyman Diallo.
Jeffrey Shapiro, son avocat, a expliqué à la chaîne de télévision NBC que Nafissatou Diallo était encore sous le coup de ce qui lui était arrivé. Il a indiqué qu'elle était forcée d'aller de chambre d'hôtel en chambre d'hôtel avec sa fille pour échapper aux médias qui font le siège de son appartement du Bronx. «Elle est perdue, a-t-il déclaré, ne sait pas de quoi son avenir sera fait. Elle a peur pour son job.» Il a également répété qu'elle ne savait pas qui était celui qui l'a, selon sa version, agressée. «C'est un ami qui le lui a appris au téléphone quand l'information de son arrestation a été diffusée à la télévision», a raconté Jeffrey Shapiro, quelques heures avant qu'elle dépose devant le grand jury de la cour criminelle de Manhattan.
«Aux Etats-Unis, j'ai autant de droits qu'Obama!»
Au Fouta Islamic Center, on suit la procédure heure par heure. Bien sûr, ces immigrés guinéens sont heureux que la justice américaine poursuive un homme aussi puissant que DSK, suspecté d'avoir violé une petite employée d'hôtel. «Aux Etats-Unis, j'ai autant de droits qu'Obama!» lance Abdoulaye, enthousiaste, sur le trottoir de la mosquée. Tous redoutent néanmoins que l'avocat de DSK parvienne à contrer les accusations du procureur et que, selon eux, justice ne soit pas rendue. Ils ont peur pour Nafissatou Diallo et sa famille que la défense du directeur général du FMI tente de les présenter sous un jour négatif et les diffame afin de «sauver» ce prestigieux client.
Souleyman Diallo veille tout particulièrement sur la procédure. «Si des poursuites n'avaient pas été lancées immédiatement, confie-t-il, j'étais prêt à organiser des manifestations de Guinéens devant le tribunal de Manhattan.» Cette communauté peule qui a connu les meurtres, les viols, les destructions et l'arbitraire du pouvoir en Guinée sait apprécier l'Etat de droit. Et elle usera de tous les moyens qu'il lui offre pour voir DSK condamné.
Marc Gonin
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