mardi 5 avril 2011

Quand la police traque les personnes de couleur noire, place de l'Etoile, à Paris...

Lundi soir, entre 20 heures et 21 heures, il ne fallait pas être noir et se promener aux alentours de la place de l'Etoile, en haut des Champs-Elysées, car on était aussitôt happé par des policiers équipés comme des robocops, particulièrement nerveux et agressifs et qui traquaient toute personne de couleur noire parce que justement, elle était noire. On en était plus au "délit de sale gueule", mais au "délit de gueule", tout court. J'en ai été le témoin direct.
Hier soir, vers 20h10, rentrant d'un débat télévisé, passant en scooter en haut des Champs-Elysées, à quelques mètres de la place de l'Etoile à Paris, je remarque une concentration de camions de police et de policiers en armure de combat. Ayant également repéré un attroupement, entendant des cris, je décide de garer mon deux roues et me précipite sur zone pour voir de quoi il retourne. 

Je découvre donc que ce déploiement policier vise à faire cesser une manifestation improvisée regroupant une trentaine de personnes, se présentant comme Ivoiriens ou d'origine ivoirienne et entendant protester contre l'intervention française dans ce pays (RTL en a parlé ce matin). Ils crient, brandissent des bouts de carton hostile à Sarkozy et se montrent démonstratifs sans être violents. Ce groupe est composé autant d'hommes que de femmes. Ces gens sont agités et exaltés, mais assurément pas dangereux. 

La police les embarque rudement. La façon dont l'opération se déroule, assez brutalement, est disproportionnée par rapport à la menace inexistante que réprésente les manifestants, quand bien même ils ont l'air d'être des partisans de Gbagbo. Les badauds en sont surpris. Les individus conduits dans le camion de police (fermé) y sont entrainés et entravés par les bras de plusieurs policiers que l'on sent prêts à en découdre (certains donnent même le sentiment de n'attendre que cela). Au bout de quelques minutes, les agités sont hors d'état de crier et même si le citoyen lambda peut juger le déploiement de forces et la façon de faire un peu limite, il est clair qu'il n'y a plus de manifestants ostensibles sur la zone. Et c'est là que se produit l'événement qui justifie le billet de ce matin. 

Les policiers n'en ont pas fini. Les voilà qui se mettent à scruter la foule des badauds, cherchant quelque chose ou quelqu'un. Au bout de quelques secondes, je finis par comprendre l'objet de cette traque visuelle : ils tentent de répérer les personnes de peau noire. Dès qu'un humain de couleur noire est repérée, ils lui foncent dessus et l'encerclent à trois ou quatre. Ils lui demandent ses papiers. Une fois, deux fois, trois fois, et encore et encore... 

A côté de moi, un noir est victime du même procédé. Il s'étonne : "Mais vous me contrôlez juste parce que je suis noir !", dit-il, indigné. Ce qui lui attire cette réponse d'un policier que je jure avoir entendu de mes propres oreilles : "Et alors ? Ils sont pas noirs les Ivoiriens ?" Le tout, assorti d'un sourire entendu adressé à ses collègues qui se bidonnent en encerclant à trois leur malheureuse victime, qui se fait embarquer comme les autres. Et la traque aux personnes noires, oui la traque, il faut bien appeler la chose par son nom, continue ainsi durant de longues minutes, place de l'Etoile à Paris.   
Mais j'ai vu encore mieux (ou pire, suivant les points de vue). 

A quelques mètres de là, je vois deux policiers s'en prendre à un jeune homme noir qui a un casque audio sur les oreilles. L'échange m'a l'air un peu vif. Je m'approche. Le jeune homme noir, appuyé contre une grille, a l'air d'agacer les deux policiers. Il leur dit qu'il n'a rien fait et qu'en plus, il n'est pas ivoirien. Il se fait engueuler. Il dit aux policiers qu'il est citoyen français, et qu'à ce titre, il représente la France autant qu'eux. Le dialogue est surréaliste. Le policier répond : "Non, monsieur, vous êtes citoyen français, nous, nous sommes les représentants de l'Etat français, pas vous, ne confondez pas !
-N'empêche que je suis citoyen...
-Vous avez vu votre tenue monsieur ? Vous êtes appuyé contre la grille... Vous croyez que c'est une attitude civique pour nous parler comme ça monsieur ? Hein ? Vous savez ce que c'est monsieur le civisme ? 
-Ben quoi, je suis bien là comme ça, je suis cool, ça vous dérange ? 
-Vous avez vu votre tenue monsieur là ? (le ton du policier monte. Il gueule) Avec vos écouteurs sur les oreilles, vous croyez que c'est faire preuve de civisme monsieur de nous parler comme ça ? Vous croyez que c'est digne d'un Français, ça monsieur ? 
-Ouais, bon...

D'autres policiers rappliquent. "Besoin de renforts ?" Le collègue du gueulard en mal de civisme répond : "On est tombé sur un lourd, un gros lourd !" Les "collègues" s'éloignent de quelques pas. Le dialogue continue entre le jeune homme noir ciblé parce que noir et le policier gueulard. 

-D'abord monsieur, vous me parlez mal, présentez moi vos papiers de citoyen français. 
Le jeune homme s'éxécute. Le passeport est français. Mauvaise pioche pour le policier gueulard. Mais pas tout à fait. "Né en Angola, laisse-t-il tomber avec tout le mépris qu'il peut afficher, né en Angola..." Il soupire genre "tu parles d'un français", puis il rend le passeport au jeune homme et d'un coup se met à lui parler en portugais (pour ceux qui ne le savent pas, l'Angola a été une colonie portugaise, où les Portugais se sont conduits en colonisateurs sans pitié, alignant massacres sur massacres durant un siècle).

En portugais, donc, le policier dit au jeune homme : "En Angola, ça ne se serait pas passé comme ça..." Cette petite phrase, qui montre que le policier est vraisemblablement d'origine portugaise et connait bien le sort que ses compatriotes d'origine réservait aux noirs de leur colonie angolaise déclenche aussitôt une réaction du jeune homme, jusque là placide. Il se redresse, et interpelle le policier qui faisait mine de s'en aller. "Quoi ! Qu'est-ce que ça veut dire ! Tu veux dire quoi là ? Hein ?"

Evidemment, il est tombé dans le piège de la provoc' insidieusement raciste du policier qui se retourne alors vers lui, l'air plus que farouche. "D'abord on ne me tutoie pas..." Il s'ensuit ensuite un petit laps de temps, une seconde où je sens que le policier évalue la situation. Il me jette un oeil, à moi et aux autres qui assistons à l'échange. Je sens d'instinct que dans un autre lieu, sans témoin, il se passerait quelque chose de violent. Mais là, il y a trop de monde. Il se contente de s'adresser de nouveau au jeune homme en portugais : "Tu sais bien ce que ça veut dire, en Angola, ça ne se serait pas passé comme, ça..." Le jeune homme comprend que c'est un piège et que s'il n'est pas passé loin du pire, il est encore possible au policier gueulard de lui causer des soucis. Il préfère hausser les épaules et s'éloigner tandis que l'autre continue de beugler en portugais.

Après cela, un couple de touristes, la soixantaine, s'approche de moi. La dame me demande dans un français teinté d'un accent étranger peu identifiable : "C'est la police française, monsieur ?" Et je réponds "Oui, c'est la police française..." La dame fait alors une drôle de grimace...  

Bruno Roger-Petit 

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